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Carnets de guerre : une lettre au président du conseil


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Les articles de cette rubrique sont des productions d'élèves faites en classe et sélectionnées par des professeurs. Ces travaux ne sont pas destinés à être publiés sur notre webzine au départ mais ils sont mis en avant pour la qualité de la rédaction et leur originalité.


Le 1er septembre 1924 La Métrallière, Savigny


Monsieur Le Président du Conseil,


Avant tout propos, daignez lire cette lettre mot à mot jusqu’au dernier point même si le style que je pratique peut vous paraître pompeux.


Quelles années que celles que nous vivons depuis 1920, si peu de temps après la guerre que tant de gens veulent oublier et laisser entre les bras du passé. Plus aucune trace du deuil de nos soldats, infirmières, civils et animaux morts à la guerre. Bien au contraire, je ne vois que rires, chants et alcools couler à flot des auberges et des bars à chaque coin de rue. Cette rivière de gaieté coule jusque dans mon village natal, passez-moi l’expression Monsieur le Président du Conseil, « paumé au fin fond de nulle part ». Les soldats et les civils sont ivres de vie et/ou d’alcool dans chaque auberge pour une seule et unique raison : oublier. Oublier cette maudite guerre et ces horreurs.


Pour revenir à une note plus joyeuse, j’entends de plus en plus parler des Music-Hall qui s’installent pour égayer les soirées de nos villes. La mode avance à grands pas, vous en conviendrez Monsieur Le Président du Conseil. Elle est le principal vecteur d’émancipation féminine qui, je le sais bien, n’est pas appréciée de tous. Mais il est indiscutable que cette émancipation revêt une place importante et sans cesse croissante dans notre belle époque d’Après-Guerre. J’oserais faire référence à Paul Poiret et ses corsets qui laissent enfin respirer nos femmes et participent à cette prise de liberté féminine et vestimentaire.


Monsieur Le Président du Conseil, vous devez sans nul doute vous demandez, pourquoi un simple soldat-vétérinaire - qui a gagné à force de bravoure les quelques échelons qui lui valent aujourd’hui l’égal de général de brigade - vous ennuie avec des considérations dont vous avez déjà connaissance ? Certaines réalités sont difficiles à admettre. Toute cette effervescence et ces nouveautés qu’accueillent en son sein une France, votre France Monsieur le Président du Conseil, qui a besoin d’être soignée ne sont que louables et réjouissantes. Mais c’est sur ce point que le véritable but de ma lettre se fait sentir et que je réitère cette phrase: « Les soldats et les civils sont ivres de vie et/ou d’alcool dans chaque auberge pour une seule et unique raison : oublier. Oublier cette maudite guerre et ces horreurs ». Oublier. Il y a pourtant des choses que les gens ne doivent pas oublier. Toutes ces réjouissances cachent une misère, une misère désolante.

Premièrement, les avancées médicales sont époustouflantes, mais hélas, encore insuffisantes et surtout inaccessibles aux plus pauvres du fait de leur coût. Mais ces avancées ne servent à rien face aux mutilations tant humaines qu’animales. Ces mutilations sont parfois d’une telle horreur que j’avoue n’avoir ni la force ni le courage d’en décrire la nature. Je prends un exemple des plus simples : pas plus tard qu’hier, j’ai été appelé par un fermier voisin pour voir son chien de garde. Il était atteint d’une fièvre que même les médicaments et les plantes anesthésiantes ne purent calmer. Les causes, simples mais conséquentes : une patte avant arrachée jusqu’à l’omoplate par un obus sur le front. La bête semblait guérie mais la cicatrice s’est soudainement réinfectée. Pour y remédier, je n’ai pu qu’abréger les souffrances qui menaient ce pauvre chien à la folie.

Deuxièmement, je ne peux voir sans désolation - quand il me prend d’aller à Paris ou dans quelque autre ville de France - des soldats mutilés ou non, assis dans la rue sous la pluie battante. Ils subissent les regards méprisants des passants, eux qui ont pourtant aider à sauver la patrie. Parmi eux, vivent tant bien que mal des hommes, des femmes, des orphelins qui ont perdu à cause de cette maudite guerre leur famille, leurs biens, leur toit ou parfois tout bonnement leur tête. Tout cela, ils l’ont perdu pour la patrie, et que leur donne-t-elle, la patrie, en retour ? Rien ! Absolument rien Monsieur Le Président du Conseil !

Enfin, je ne peux que me désoler de voir des maisons closes naître comme des oisillons au printemps. Et dites-moi, à qui doit-on toutes ces abominations ? Je vous le demande, à qui ? A vous, Monsieur le Président du Conseil. A vous et au Parlement qui devriez porter haut la gratitude de la patrie ! Pensez à toutes ces femmes que vous sacrifiez pour des hommes sans éducation !


Sur ces paroles, je vous rend responsable vous, Monsieur Le Président du Conseil, ainsi que votre parlement des actions suivantes :

- Passer outre la misère au profit de l’alcool et des plaisirs des gens aisés

- Asservir des femmes livrées à elles-mêmes, sans ressources


Je pourrais en rajouter mais je dirais simplement ceci pour conclure Monsieur Le Président : apprenez à utiliser l’argent des contribuables pour redonner son honneur et sa dignité à la patrie plutôt que la traîner dans le caniveau de la débauche.


Sur-ce, recevez mes salutations les plus respectueuses mêlées à mon dégoût le plus profond.


Antoine Guy Faizant,

Le Vétérinaire en Chef de Service


Guillaume P. (3e Ronsard)

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